LA FIERTÉ RÉSINEUSE D’UNE NATION, L’ENCENS MYSTIQUE D’OMAN — PT.2

En mars 2022, l'équipe de reportage d'Olfactive Studio s'est rendue à Oman pendant dix jours, dans l'espoir de découvrir le mystère se cachant derrière un ingrédient délicat : l'Encens, en arabe (langue parlée à Oman) "Luban" — dont dérive "Oliban".

Comme présenté dans notre précédent article de février, Oman est le berceau de l'espèce Boswellia sacra, le même Encens que le Christ aurait soi-dsant reçu le jour de son anniversaire – un noble cadeau des rois mages.

Voulant en savoir plus sur l’Oliban, nous avons donc rendu visite à une distillatrice locale à Muscat, la capitale — ainsi qu'à un chercheur spécialisé dans l'encens à Salalah, dans la région méridionale du Dhofar — pour trouver quelques réponses sur cette mystérieuse matière première et son marché...

Suivez-nous au pays de l'Encens et dans le désert du Dhofar, et voyagez dans le temps jusqu'aux prémices de l'Oliban !

TROIS PAYS DEUX ENCENS

QUELLE ORIGINE POUR CETTE RÉSINE..?

À l'époque où notre experte en ingrédients naturels était encore étudiante en parfumerie, elle composait des parfums en laboratoire, où l'Encens figurait certainement parmi ses nombreuses matières premières naturelles – comme note de cœur et/ou de fond.

L'Oliban avec lequel elle travaillait était principalement sourcé (le sourcing est le nom du département des achats/approvisionnements dans l'industrie) en Somalie ou au Yémen – leurs pays d'origine – comme indiqué sur le flacon des matières premières.

Il était beaucoup plus rare de manipuler de l'Encens d'Oman, et "l'Encens Somalie" était de loin le plus courant. Cela l'a amenée, ainsi que notre équipe, à enquêter sur l'Encens mythique d'Oman, la source de tous les Boswellias !

Pour l'amour d'Oman et de son trésor parfumé, nous dévoilons dans cet article, certaines des réponses que nous avons trouvées au cours de notre périple.

SACRA VS CARTERI

Nous vous avons parlé des différentes espèces de Boswellia dans notre précédent article sur l'encens, maintenant – comme vous l'avez probablement déjà deviné – nous zoomons sur la péninsule arabique.

Nous avons cru pendant longtemps, à partir de plusieurs rapports et de la répartition géographiques proche des espèces Boswellia carterii et Boswellia sacra, que ces dernières étaient en fait la même espèce d'Encens. Ce n'est que récemment (vers 2012) qu'elles ont été reconnues – sur la base de leurs propriétés organoleptiques, botaniques et olfactives, ainsi que leur dispersion topographique et analyse physico-chimique – comme deux espèces distinctes et uniques. Boswellia sacra correspond aux arbres d'Oman et du Yémen, tandis que Boswellia carterii fait référence aux arbres à Encens de Somalie.

Avant de vous raconter le récit de la fierté résineuse d'Oman – comme nous aimons l'appeler – nous vous présentons quatre de nos parfums contenant cet ingrédient mystique !

L'ENCENS DANS LES PARFUMS OLFACTIVE STUDIO

WOODY MOOD

Woody Mood possède un départ hespéridé, et épicé à la fois, avec la fraîcheur acidulée de la Bergamote (Citrus bergamia). Très épicé et aromatique, on sent la facette poivrée du Gingembre (Zingiber officinale), et le côté fruité du Safran(Crocus sativus). C’est la Sauge Sclarée (Salvia sclarea) avec ses airs de lavande qui donne la facette aromatique à la tête du parfum. La tête de Woody Mood s’estompe vite, laissant place à un cœur tout en douceur.

En cœur, le tout est très boiséL’Encens (Boswellia carteri) est bien présent avec sa facette boisée-résineuse, l’accord Séquoïa évoque les forêts de ces immenses conifères, poussant en Californie du Nord, à la senteur boisée-résineuse avec des notes terreuse et aromatique (odeur proche du cyprès). C’est le Thé Noir (Camellia sinensis) qui procure cet aspect thé, relevé par la facette earl grey de la Bergamote en tête. L’accord Nard Jatamansi (Nardostachys jatamansi) apporte au cœur une note hebacée-aromatique et terreuse (les rhizomes sont rarement distillés pour obtenir l’huile essentielle). 

L’ensemble a du volume, on sent vite le fond, car les notes présentes sont principalement des notes de fond. Dans ce dernier on ressent bien le côté poussiéreux-terreux du Patchouli (Pogostemon cablin), ainsi que le Styrax(Liquidambar orientalis). Cette matière première balsamique possède des facettes cinnamique et florale, participant au côté floral opulent que nous percevons dès le cœur. Notons que le Styrax est utilisé dans les notes cuir pour sa facette du même nom, ainsi il agrémente l’accord Cuir qui rappelle un beau cuir lisse. 

Woody Mood est un parfum très baumé, cette facette se développant avec le temps dû à la faible volatilité des matières premières balsamiques. L’association de la facette florale et du fond baumé-cuir donne comme un effet vintage, intensifié par la note animale du styrax et de l’accord Cuir. L’accord Poudre de Cacao s’ajoute à l’effet poussiéreux du patchouli et poudré du styrax.

A la fois citrus-boisé-baumé-cuir, la construction de Woody Mood rappelle les parfums orientaux, et sa fragrance procure une sensation réconfortante.

 

 

CHAMBRE NOIRE

Il n’y a pas d’autres mots que "délicieux" pour décrire Chambre Noire ! De la tête du parfum ressort la poivrée Baie Rose (Schinus molle), avec son léger côtézesté. Matière première coûteuse, elle se marie bien avec la facette boisée du parfum qu’elle agrémente par son côté floral-épicé. Ce dernier sert de jonctionentre la tête et le cœur. 

Parfum de fond, Chambre Noire, dévoile vite son cœur avec le Jasmin d’Égypte(Jasminum grandiflorum) à la fois floral et animal, rappelant le thé au jasmin. Le Papyrus (Cyperus scariosus), dont le rhizome odorant est extrait (comme le Vétiver) apporte une facette épicée aux bois du parfum, tout s’accordant avec eux par sa facette terreuse rappelant le Vétiver. S’allie au jasmin l’accord Violette avec son côté floral-poudré et sa petite note fruitée-fraise (personnellement je peine à distinguer la violette parmi les autres MP). 

L’Encens (Boswellia carteri) est bien présent, soulignant le caractère boisé sensuel de la fragrance. C’est un encens très balsamique, facette soutenue par l’Absolu Vanille (Vanilla planifolia), elle-même douce et vanillée. Son côté épicé s’accorde à merveille avec la Baie Rose, et le Papyrus, qui possèdent chacun des notes épicées caractéristiques. Arrondi par la Vanille, l’accord Pruneau se veut fruité et liquoreux, et fait écho à la facette fruitée de la Violette.

En fond nous avons le couple de bois Patchouli (Pogostemon cablin) et Santal(Santalum album). La facette fleurs-jaunes du Santal résonne avec le Jasmin (fleur blanche) et sa facette lactonique avec la Vanille et les Muscs. Le Patchouli boisé-terreux quant à lui, et sa note chocolat noir s’associe avec la facette douce de la Vanille pour éveiller nos papilles par le biais de notes gustatives ! L’association de ces deux matières premières boisées à l’Encens accentue sa puissance boisée-résineuse (contrairement à Ombre Indigo où il est plus fumé) et donne presque un effet Oud (Aquilaria malaccensis). 

Les Muscs possèdent une facette crémeuse s’accordant au laiteux Santal, ainsi qu’un côté fruité rappelant les fruits rouges, s’associant à l’accord Pruneau du cœur. La Vanille, par son côté épicé, rejoint la tête de Baie Rose, et fait persister les épices en fond. L’accord Cuir offre un fond opulent et envoûtant, dont la facette animale s’accorde avec celle de la Vanille et des Muscs.

Avec Chambre Noire, nous avons un parfum boisé-balsamique, procurant une véritable sensation de chaleur vanillée. Le tout possède des aspects très orientaux aux notes vanillées et évoquant des notes de Oud (aux facettes animale-boisée-ambrée-fumée).

 

 

OMBRE INDIGO

Le parfum Ombre Indigo possède une tête subtile car il est principalement constitué de notes de cœur et de fond. Nous percevons tout de même un petit côté acidulé-hespéridé en départ, donné par le Petitgrain Bigarade (Citrus aurantium) avec sa facette aromatique aux accents de lavande (donné par leur constituant commun l’acétate de linalyle). 

Le tout est d’emblée très épicé-encens, caractérisé par des notes de fond. Les facettes prédominantes, qui signe le parfum dès ses premières notes sont les facettes boisée, ambrée, et cuirée. Cependant on n’échappe pas au côté floral-opulent donné par l’Absolu Tubéreuse (Polianthes tuberosa), une Tubéreuse qui se veut entêtante, typique des fleurs blanches, légèrement miellée, et offrant son petit côté singulier rappelant les légumes. La Tubéreuse s’accorde à merveille avec la facette fruitée de l’accord Prune, ainsi qu’avec l’accord Cuirqu’elle agrémente. 

L’épicé Safran (Crocus sativus) par son côté fruité se marie à l’accord Prune, qui possède une facette liquoreuse évoquant les liqueurs de fruits. Ce dernier rappelle la base « prunol », à la fois fruitée, lactonique et baumée, qui donne de la complexité à Ombre Indigo (célèbre base utilisée au début des années 1900 pour des notes prune). 

On distingue le Vétiver (Vetiveria zizanoïde) par son côté fumé qui accompagne sa facette boisée-mousse principale aux notes terreuses. Le Papyrus (Cyperus scariosus), dont le rhizome odorant est extrait (comme le vétiver) apporte une facette épicée au fond du parfum, tout en s’accordant au Vétiver par leur facettes terreuse et fumée communes. L’accord Cuir possède une facette animale fort prononcée soulignant le fond très Encens. 

L’Encens (Boswellia carteri)star du parfum est très résineux, boisé, et omniprésent car senti dès la tête! Il est également ensorcelant par sa facette fumée si prononcée, soulignée par le Vétiver et le Papyrus, eux aussi fumés. L’effet mystique donné par la facette Encens nous transporte dans une « vieille église ». 

Le Benjoin (Styrax tonkinensis) apparaît à travers sa facette gourmande aux notes de caramel. Son côté ambré va de pair avec les notes ambrées de la fragrance. Ce dernier, associé aux Muscs, procure profondeur et volume à ce parfum si puissant. L’ensemble est une fragrance boisé-floral-encens, aux aspects fumé et ambré véritablement frappants !

Ombre Indigo est un parfum associant l’opulence d’une fleur de caractère, la tubéreuse, à un accord Prune gourmand, et à un Encens ensorcelant dont les facettes boisée et fumé nous fascinent.

 

 

AUTOPORTRAIT

Dans Autoportrait, on découvre un Encens (Boswellia carterii) apaisant, bercé par des matières premières qui rendent ce parfum si addictif. Dans son départ discret et subtil on distingue la facette zestée de l'essence de Bergamote (Citrus bergamia) et la facette poivrée-fraîche de l'essence d'Elémi (Canarium luzonicum), matière première épicée dont on sent déjà les facettes boisée et résineuse.

La structure d’Autoportrait permet au cœur boisé-balsamique de se dévoiler très vite.

La facette épicée perdure dans le cœur du parfum avec le Benjoin Siam (Styrax tonkinensis), possédant aussi un côté épicé-cinnamique (facette primaire de la cannelle). Quant à la facette gourmande du Benjoin, aux accents de vanille et de caramel, celle-ci nous enveloppe dès le cœur dans un voile doux et chaleureux. C’est aussi l’Encens que l’on ressent, sa facette boisée mise en avant, il se veut résineux et rassurant.

Cet aspect boisé si prononcé dans Autoportrait est souligné dans le fond de la fragrance par le Cèdre (Juniperus virginiana), dans toute sa naturalité avec son côté boisé-sec, et l’élégant Vétiver amenant une note fumée raffinée.

L'Absolu Mousse de Chêne (Evernia prunastri) avec sa facette boisée-mousse et son aspect terreux accompagne le Cèdre et le Vétiver(Chrysopogon zizanoide) tout en donnant une dimension chyprée à la fragrance. Les Muscs veloutés donnent un effet crémeux.

Autoportrait est un parfum élégant, tout en profondeur, véritablement charnel, et au sillage envoûtant.

 

 

MACHINE À REMONTER LE TEMPS

Commençons par une introduction rapide de l'Encens omanais en tant qu’ingrédient odorant, à travers le merveilleux héritage de l'Oliban d'Oman !

La vérification des faits est certainement l'une des choses les plus importantes lorsqu'il s'agit de rédiger nos rapports, c'est pourquoi une visite – pas si rapide – des musées nationaux d'archéologie, de l'Encens, ainsi que des sites archéologiques s’est imposée pour notre équipe !

Nous avons trouvé tellement d'informations précieuses que nous les avons rapportées exclusivement pour les partager avec vous – il aurait été dommage de les garder pour nous !

L'Encens a toujours été au cœur de la culture et du peuple omanais, bien avant qu'il ne devienne un ingrédient de parfumerie moderne – en étant extrait en résinoïde puis distillé en huile essentielle.

En 400 avant J.-C., l'Oliban est transporté depuis le Dhofar par voie maritime et terrestre vers le reste du monde. Aucune autre marchandise de l’époque n'égale l'énorme demande connue par l'Encens – captivant les historiens et scientifiques de l'Antiquité tels que Hérodote, Pline l'Ancien, Ptolémée, Strabon et Diodore (qui le mentionnent tous dans leurs écrits).

Pour citer l'un d'entre eux, Hérodote – en 5 après J.-C. – remarque que "chaque année, les Babyloniens brûlaient 800 talents d'encens pour leur dieu suprême Marduk." – le talent étant une ancienne unité de mesure.

UN COMMERCE UNIQUE, TROIS SITES ANTIQUES 

SUMHURAM

Trois cents ans plus tard, de 100 av. J.-C. à 100 apr. J.-C., un important port est construit à Sumhuram (région de Khawr Rawrī ou Khor Rori) – le plus grand peuplement préislamique du Dhofar – pour le commerce de l'Encens, et plus précisément pour prendre le contrôle de ce dernier. 

Ingénieusement construit, il était protégé par des blocs de pierre dont la position précise formait les fortifications du port. Des inscriptions arabes décrivant la fondation de la colonie furent retrouvées sur cinq de ces blocs.

Le site de Khawr Rawri est aujourd'hui caractérisé par un bar-estuaire – lorsqu'une lagune ou une baie peu profonde est protégée de l'océan par un banc de sable, un delta ou une île. À l'époque où il servait de port principal pour le commerce de l'Encens, Sumhuram était un estuaire ouvert !

Le commerce lucratif de l'Encens du Dhofar a voyagé jusqu'en Mésopotamie, en Égypte, dans la vallée de l'Indus, en Afrique de l'Est, ainsi que dans le puissant Empire romain.

“QUOTE ON QUOTE”

Sumhuram fait partie du site du patrimoine mondial de l'UNESCO du Pays de l'Encens. L'organisation internationale a affirmé que "les arbres à encens de Wadi Dawkah [...] et les ports affiliés de Khawr Rawrī [...] illustrent de manière vivante le commerce de l'encens qui a prospéré dans cette région pendant de nombreux siècles, comme l'une des activités commerciales les plus importantes du monde antique et médiéval."

"L'encens peut se tenir sur le quai sans être gardé grâce au pouvoir d'un dieu qui le protège. Pas même un grain de résine précieuse ne peut être chargé illégalement. Si un grain d'encens est chargé, le navire ne peut pas naviguer car c'est contre la volonté de Dieu." 

Cette citation sur Sumhuram du premier siècle de notre ère est mentionnée dans l'ouvrage grec "Le Périple de la mer Érythrée", dans lequel la colonie porte le nom grec de Moscha Limen.

DES PREUVES INDISCUTABLES

Des salles de stockage et des installations de production d'Encens ont été découvertes dans l'ancienne zone résidentielle et le quartier commercial du site de Sumhuram lors de fouilles archéologiques. On peut y admirer des artefacts tels que des brûle-encens en calcaire – datant de l'âge de fer jusqu'à 500 AD – dont les éléments décoratifs comportent le motif astral typique de l'Arabie du Sud.

Lors de fouilles supplémentaires révélant deux zones religieuses, davantage de brûle-encens ont été découverts dans l'une de ces dernières – abritant le temple de Sin, l'un des bâtiments les plus importants de la ville.

Ces objets figurent parmi les plus trouvés à Sumhuram ! Utilisés pour les cérémonies religieuses autant qu'au sein des foyers. La variation la plus commune chez eux ? Leur forme ! Pattes de lion, forme pyramidale, etc., tout (ou presque) fut représenté – ainsi que leur taille et leurs matériaux (pierre ou métal).

AL BALEED

Initialement appelée al-Mansura et al-Ahmadiyya, Al Baleed – deuxième ville portuaire – fut fondée en l'an 6 AD. Elle joua un rôle majeur dans le commerce maritime après le déclin de Sumhuram au 3e siècle apr. J.-C.

Al Baleed a été décrit par des voyageurs célèbres comme Marco Polo en 1290 après J.-C. comme l'un des plus magnifiques et des plus grands ports de l'océan Indien.  En raison de sa position stratégique sur la côte sud-est de la péninsule arabique – surplombant l'océan Indien – la ville a rapidement acquis une importance commerciale. Ce n'est pas un secret qu'elle ait participé à la promotion du commerce international, et concernant notre sujet d'intérêt, du commerce de l'Encens !

Le produit tant convoité partait d'Al Baleed jusqu'en Chine, en passant par les pays d'Asie du Sud-Est, l'Inde et d'autres ports d'Afrique de l'Est. Ces échanges ont été prouvés par les mentions de la ville par des explorateurs comme Ibn al Mujawir (1220 AD), ou des dirigeants comme Zeng He – commandant de la flotte chinoise de 1421 à 1431 AD.

Sur la route d'Al Baleed – à 180 km au nord de Salalah – se trouve l'oasis et le site caravanier de Shisr, une halte d’eau critique dominée par une forteresse datant de l'âge de fer. Les caravanes étaient composées de centaines de milliers d'hommes et de bétail, et des caravansérails – auberges en bord de route – étaient établis le long des principales routes marchandes pour que les caravaniers puissent s’y reposer.

WADI DAWKAH

Situés à 40 kilomètres au nord de Salalah, 1257 arbres ancestraux Boswellia sacra s'étendent sur une superficie de 5 km² sur les 19 km² que compte le désert de Wadi Dawkah. Cette incroyable réserve d'encens est un parfait exemple de la prospérité naturelle de l'espèce dans sa région natale du Dhofar.

Les vestiges des sites néolithiques voisins indiquent que le commerce de l'Encens s'y est développé dès le 6e millénaire avant Jésus-Christ !

L'ARAB-ASE DE L'OLIBAN

Aux 19e et 20e siècles, les contenants à encens étaient utilisés pour stocker non seulement l'Oliban, mais aussi les ingrédients aromatiques. Ces réceptacles traditionnels hermétiques en cuivre appelés mukkabah étaient fabriqués dans la célèbre cité antique de Nizwa, renommée pour ses talentueux dinandiers – entre autres artisans – qui détenaient le secret de la création de "couvercles étanches et cannelés" élaborés avec précision pour empêcher l'évaporation des huiles essentielles.

À ne pas confondre avec le mukkabah, le "majmar" est le nom donné aux brûles encens (ou encensoir) - et pas seulement aux récipients - dans lesquels on place des charbons chauds, parsemés de grains d'Encens afin d'en libérer la fumée parfumée.

Nous avons parlé cuivre, parlons maintenant argent ! L'artisanat de Nizwa est le mieux représenté - parmi tous les matériaux - par l le noble argent. Outre sa dimension sacrée en étant le métal du Prophète (l'associant à la pureté), l'argenterie est populaire à Oman depuis des siècles pour les articles de parure personnelle (armes, bijoux, porte-monnaie). Les contenants en argent pour Encens et cosmétiques font partie des objets traditionnels féminins.

LES ACTEURS DE L'ENCENS

Pour obtenir des informations sur la culture, la collecte, l'utilisation de l'Encens à Oman ; et ses liens étroits avec la nation omanaise, nous devions rencontrer les acteurs de l'Encens ! Comme mentionné plus haut, nous avons eu la chance de rencontrer une distillatrice étrangère à Mascate, et un distillateur et chercheur d'Encens omanais à Salalah, qui se sont livrés sur cet incroyable ingrédient avec lequel ils travaillent depuis plus de 20 ans.

DOCTEUR FRANC-ENCENS

Un chercheur et distillateur d'Encens – pour faire simple un spécialiste – de la région de Salalah nous a aidé à mieux comprendre les histoires de cet ingrédient.

UN SAVOIR FAIRE MILLÉNAIRE

Le pays compte environ 800 000 à un million d'arbres, dont les plus anciens sont centenaires. Ils poussent à l'état sauvage, dans des déserts arides appelés wadi. C'est une espèce difficile à cultiver et il faut 8 à 10 ans pour qu'un arbre commence à produire un Encens commercialement viable.

GEMMAGE D'ARBRE !

En avril – alors que la température augmente – les producteurs d'Encens blessent l'arbre – en faisant une incision sur le tronc – puis attendent deux semaines que la résine exsude (une sève blanche), et la récoltent à ce moment-là (après que la sève devenue résine aient durci). L'outil utilisé pour inciser l'arbre consiste en un couteau avec un manche en bois appelé manqaf. Cette première récolte n'est ni de bonne qualité ou quantité et s'avèret souvent difficile à exploiter commercialement.

Après cette première récolte, les producteurs blessent l'arbre au même endroit, attendent encore deux semaines et récoltent à nouveau la résine. Cette deuxième récolte – contrairement à la première – est commercialisable !

Un mois s'est écoulé et la résine d'Oliban a déjà été récoltée deux fois. Cette pratique implique 4 à 5 blessures pour les arbres plus âgés et plus volumineux, qui peuvent supporter plus de blessures que leurs pairs plus jeunes et plus petits, ne supportant qu'un maximum de 3 entailles.

Cette activité permet aux agriculteurs de gagner environ 200 à 300 OMR – rials omanais, la monnaie locale – après quelques mois. Cela équivaut à environ 520-780 dollars avec le taux de change actuel.

Savez-vous quelle est la productivité moyenne d'un arbre adulte tout au long de la saison ? Pas moins de 10 kilogrammes ! La fin de la saison de récolte se dénomme alkashem.

UNE HISTOIRE DU DHOFAR

Le gemmage (ou entaillage) de l'arbre - le terme exact utilisé pour la méthode d'incision/récolte - est un travail physique remarquable qui se déroule sous le soleil brûlant du wadi.

À l'époque, les peuples des montagnes du Dhofar vivaient de l'Encens, les familles avaient leurs propres arbres et les récoltaient. L'Oliban était traditionnellement brûlé pour sa fumée dans tout le pays, et utilisé pour traiter les maladies. Avant 1970, l'Encens était l'un des principaux marchés au sein d'Oman.

Dans les années 70, l'exode rural fit quitter leur campagne natale à de nombreux agriculteurs du Dhofar, qui se déplacèrent vers la ville pour occuper des emplois dans le secteur public.

L'ancien sultan Al Qaboos – l'un des plus grands souverains du sultanat d'Oman – était un homme très respecté qui voulait aider son peuple, et les femmes et hommes en général, y compris ses voisins somaliens à faible revenu. Malgré leur vie modeste due aux difficultés économiques de leur pays, les Somaliens ont une excellente connaissance professionnelle des arbres Boswellia, car une espèce distincte pousse également sur leurs terres (Boswellia carteri).

Avec le soutien du généreux sultan, certains d'entre eux furent accueillis à Oman. Ils louèrent les terres sur lesquelles les arbres prospéraient à leurs propriétaires - des familles omanaises du Dhofar - et travaillèrent comme producteurs d'Encens en exploitant les arbres.

Le Dhofar possède une immense superficie de terres : 100 000 km2 ! Si la côte est bien peuplée et connue, de nombreuses zones sont très isolées, les rendant difficiles d'accès - Ouest de Salalah, Est de Merbat - et leur nature encore intacte.

Beaucoup d'arbres à Encens appartenant à ces zones n'ont jamais été touchés ni exploités, ce qui explique qu'un grand nombre d'entre eux demeurent à l'état le plus sauvage.

DANS LES VEINES D'OMAN COULE L'OLIBAN

Nous le répétons, l'Encens a toujours été utilisé à Oman, même avant que la nation ne porte ce nom, lorsqu'elle s'appelait "Magan" – l'ancienne région d'Oman nommée par les textes sumériens entre 2300-550 avant J.-C. Donc oui, il y a bien longtemps !

Employée sous toutes ses formes et de multiples façons – en dehors de sa simple combustion – la résine est aujourd'hui encore ajoutée aux boissons, ingérée lorsqu'elle est dépourvue d'impuretés (plutôt mâchée), utilisée dans certains traitements en raison de ses vertus anti-inflammatoires (y compris en médecine animale), pour empêcher la pénétration de l'humidité, et brûlée pour les anniversaires et les mariages.

Néanmoins, l'usage traditionnel prévaut jusqu'à présent, et la plupart de l'Encens est vendu et utilisé comme résine à brûler.

GRADES D'ENCENS

Historiquement, l'espèce Boswellia sacra a été classée en grades distincts en fonction de sa provenance dans la région du Dhofar (et non de sa qualité).

Avant 1970, quatre catégories ont été identifiées. L'Encens shabi, provenant de la côte (non disponible sur le marché) ; l'Encens shazari, provenant des falaises des montagnes situées entre la côte et le désert ; l'Encens nagdi, provenant du wadi (désert) ; l'encens hojari, provenant de la région de Jabal Samhan – une réserve naturelle fabuleuse dans les montagnes du Dhofar, où vie l'espèce menacée du léopard d'Arabie !

Connaître quelqu'un originaire de la région aide à identifier la provenance, car des mélanges sont souvent vendus.

En ce qui concerne la couleur de la résine, tout comme son grade, elle n'a rien à voir avec sa qualité. L'Encens de couleur verte correspond à une résine provenant d'une région sèche, celle de couleur noire d'une région humidel'oxydation provoque cette couleur plus foncée. Notons également qu'un même arbre peut donner des résines de couleurs différentes !

Avant 2008 – date à laquelle la recherche sur l'Encens pris un tournant – les grades étaient directement liés à l'origine géographique de la résine. Après cette date, l'attention s'est portée sur ces grades d'un point de vue commercial (les liant dès lors à la qualité).

On considère aujourd'hui que l'Oliban blanc exempt d'impuretés est le meilleur, et que sa qualité se dégrade lorsque sa couleur devient rougeâtre ou lorsqu'il est mélangé à des impuretés.

Par ailleurs, le terme hojari désigne désormais l'Encens d'un désert spécifique, prétendument "propre" – et seuls quelques centaines de kilogrammes de résine y seraient produits – le rendant très onéreux.

UNE DISTILLATRICE AMÉRICAINE À OMAN

À Mascate, nous avons rencontré Trygve Harris, une distillatrice d'Encens américaine installée dans le pays depuis plus de 10 ans. Se qualifiant "d'artiste aromatique", Trygve est arrivée à Oman en 2006 en raison de son amour pour l'Encens et de son désir de s'installer dans le sultanat.

Sa passion pour Oman et son Oliban était en partie motivée par son admiration pour le précédent sultan Qaboos bin Said, qui a régné pendant 50 ans, de 1970 à 2020. C'est lui qui fonda Amouage en 1983, désireux de renouer le pays avec la tradition arabe de la parfumerie de luxe. À l'époque, se souvient Harris, les flacons étaient sublimes – tout en cristal, or, argent et pierres semi-précieuses.

Harris travaille dans le domaine des huiles essentielles depuis plus de 25 ans et possède une boutique à New York, "Enfleurage", où elle vend des essences qu'elle achète elle-même à de petits distillateurs du monde entier. Elle a beaucoup travaillé avec les bois, en particulier le Bois de Oud (arbres Aquiliaria) – l'un de ses principaux centres d'intérêt.

Lorsqu'elle vint pour voir les arbres et rencontrer son distillateur et fournisseur d'Encens, Harris ne s'attendait pas à ce que celui-ci change d'orientation professionnelle et la laisse, peu après sa visite, sans essence d'Encens pour son magasin durant deux années consécutives !

Cette matière première était trop importante pour elle et elle rapporta de la résine dans son appartement de New York pour essayer de la distiller avec son petit alambic. Elle se surprit à réussir la distillation, ce qui la motiva à poursuivre le procédé.

En 2010, elle a même créé une glace artisanale à l'encens qui a attiré l'attention du monde entier et jusqu'à être présentée dans la presse par des médias importants comme CNN.

Après quelques courts séjours à Oman – louant un appartement et distillant de l'Encens et d'autres matières premières aromatiques – elle décida de s'installer à Oman, et d'y établir une distillerie pour approvisionner sa propre boutique à New York, afin d'exporter à l'étranger.

Elle s'est d'abord installée à Salalah en 2011, où elle a commença sa distillation d'encens jusqu'en 2012, date à laquelle elle déménagea dans la capitale. À l'époque, Harris ne disposait pas du contrôle qualité requis pour vendre en Europe, mais c'est désormais le cas.

LA DISTILLERIE DE TRYGVE

La distillatrice américaine a mis au point un système de distillation à circulation – construit par ses soins à partir de cinq alambics qu'elle a apportés à Oman – afin de ne générer aucun déchet. Accompagnée de son assistant, elle produit environ 70 kilogrammes d'essence d'Encens par mois. Ils font également de la co-distillation Encens/Myrrhe (Commiphora myrrha).

Son fournisseur lui permet d'obtenir de la résine d'encens très fraîche ! En revanche, sa Myrrhe provenant de Somalie, celle-ci tarde à arriver à Mascate compte tenu de la distance.

Elle produit des huiles essentielles, des hydrolats, et utilise même les détritus contenant des acides boswelliques – des terpènes (famille de molécules) produits par le genre Boswellia que l'on trouve dans la résine des arbres et dont les propriétés anti-inflammatoires ont été démontrées, entre autres.  Harris a pu extraire ces acides – par un procédé qui lui est propre – des détritus.

Environ 15-20% d'acides triterpéniques sont présents dans la résine-gomme, dont les boswelliques. L'huile essentielle, par contre, ne contient pas d'acide boswellique.

Aujourd'hui, l'huile essentielle de Harris est distribuée aux quatre coins du globe – l'Europe, les États-Unis et l'Asie étant ses principaux clients. Être une femme distillatrice étrangère dans un pays qui n'est pas le sien, a sûrement été une aventure pour Harris, mais elle a relevé avec brio ce défi enrichissant !

 

 

UN REGARD PERTINENT

Notre enquête et nos déplacements nous ont amenés à rencontrer divers acteurs locaux de l'Encens, et nous ont permis de mieux comprendre ce marché millénaire – et nous espérons que cela vous à aussi été utile !

L'Encens du Dhofar est largement vendu dans le Sultanat d'Oman et auprès de sa population, mais sa rareté et sa vénérable petite production - par rapport à ses voisins somaliens et yéménites - en ont fait un produit d'exception exclusif et prisé par la scène internationale.

Il est reconnu comme l'une - sinon la - plus noble espèce et provenance d'Encens au monde !

Anna Grézaud-Tostain pour Olfactive Studio